Pink Floyd et les femmes : entre silence et miroir

Chers lecteurs du Floyd Blog, êtes-vous capable de citer une chanson d'amour Des Pink Floyd ? Vous séchez ?

Pourtant, derrière leur génie musical se cache une relation complexe avec la thématique des femmes, qui mérite d'être explorée.

1. Les femmes dans les paroles des Pink Floyd

   
   

   Contrairement à d'autres groupes de rock de leur époque qui sexualisaient souvent les femmes dans leurs textes (Under my Thumb des Stones, Walk this Way d'Aerosmith, Whole Lotta Love de Led Zeplin...), Pink Floyd adopte une approche plus introspective, où les figures féminines deviennent souvent des symboles de perte, d’angoisse ou de refuge.

   Dans The Wall, par exemple, la figure maternelle dans la chanson Mother est centrale : surprotectrice, intrusive, elle incarne une forme de féminité étouffante qui contribue à l’édification du "mur" psychologique du protagoniste Pink. Roger Waters précisera qu'il ne s'agit pas là d'une description de sa mère, et s'étonnera que beaucoup de femmes se reconnaissent dans ce portrait qu'il affirme avoir dressé grossièrement, comme un « cliché » (Pink Floyd The press reports, V. Fitch).

   

   Pink Floyd, Mother by Donna Quixote

   De l’autre côté du spectre, Young Lust offre une vision crue de la sexualité masculine, presque vide de sens affectif — une critique déguisée du vide émotionnel dans lequel le personnage se perd, et non une célébration de la débauche.

   
   

   Parmi les rares chansons des Pink Floyd faisant explicitement référence à des personnages féminins, on peut citer, See Emily Play, dédiée à une figure mystérieuse, Charlotte Pringle dans Summer 68, mais il s'agit d'une aventure d'un soir comme dans la chanson Stay, Vera faisant référence à Vera Lynn, chanteuse emblématique de la seconde guerre mondiale, Julia Dream adressée à une femme dont on ne sait presque rien...

   
   

   Ainsi chez les Pink Floyd, la figure féminine est souvent périphérique — amante absente, mère écrasante, muse fantasmée. Leur rapport au féminin est davantage psychologique ou symbolique qu’intime ou romantique et on ne trouve pas de chanson d’amour au sens classique.

   À l'exception peut-être de la chanson Pigs on the Wing de l'album Animals, y aviez-vous pensé en début de post ? Roger Waters s'adresse ici tendrement à sa nouvelle femme, Carolyne Christie, mais en évoquant surtout les ennemis cachés dont il faut se protéger à deux, "les cochons volants", dans une sorte de confession vulnérable toujours très introspective.

   
   
   
   

2. Les voix féminines

   
   

   Pink Floyd semble parler du monde tel que vu par des hommes en crise où la place des femmes est en périphérie d’un univers dominé par les névroses masculines, mais cette place n'est pas sans signification. La chanson The Great Gig in the Sky, entièrement instrumentale à l’exception d’un cri vocal improvisé en une prise par la chanteuse Clare Torry, est un exemple frappant : cette voix féminine, intense et émotionnellement brute, exprime une détresse ou une transcendance que les mots ne peuvent saisir. Là encore, la femme n’est pas sujet mais vecteur, porteuse d’une émotion pure, déliée de toute narration amoureuse ou genrée.

   The great Gig in the Sky est en réalité l'illustration musicale de la phobie de l'avion de Rick Wright dont les voyages fréquents entre Europe et Amérique étaient une immense source de stress, puisqu'il avait une peur constante de mourir en plein vol (Pink Floyd Through The Eyes Of The Band, Its Fans, Friends, And Foes, B. Mc Donald).

   
   

   Pink Floyd Clare Torry "The Great Gig in the Sky" interview

   
   

   Par ailleurs, les chœurs féminins dans les chansons de Pink Floyd sont à la fois discrets et essentiels et jouent un rôle fondamental dans l’identité sonore de Pink Floyd. Les voix féminines interviennent souvent pour ajouter une dimension émotionnelle que les voix masculines du groupe — souvent froides, distantes ou narratives — ne portent pas de la même manière. Time, Us and Them, Eclipse, Shine on you Crazy Diamond, et plus tard What do you want for me, Learning to Fly, On the turning away nous offrent de superbes parties de choeurs collectifs écrites dans un style gospel ou soul et feront l'objet d'une présence charismatique sur scène de talentueuses chanteuses.

   
   

   

   
   
   
   

3. Une précieuse collaboration féminine

Polly Samson est une écrivaine, parolière et journaliste britannique connue pour ses romans, mais dans le monde du rock, elle est surtout reconnue comme la partenaire artistique et épouse de David Gilmour.

Sa collaboration intervient tard dans l’histoire des Pink Floyd en écrivant 7 des 11 chansons de l'album The division Bell, mais elle en influence profondément la poésie, la sensibilité et elle redéfinira le ton de la période post-Waters.

The division Bell, album de renouveau dont le principal thème est la communication, coïncide donc avec une transition dans la vie affective de David Gilmour. En effet, il y collabore avec sa nouvelle compagne Polly Samson, qui à cette occasion lui apporte soutien moral et sentimental, l'aide à exprimer ce qu'il ressent en des termes inédits, mais lui demande aussi ce qu'il attend d'elle dans What do you want from me, chanson écrite dans un moment de manque de communication dans le nouveau couple qui semble alors se disputer dans une sorte de dialogue "mots-guitare".

"Ses mots ont fait ressortir beaucoup de choses en moi que je n'aurais probablement pas réussi à exprimer moi-même"

David Gilmour en parlant de son épouse Polly Samson.

" Il joue beaucoup de guitare et je me dis que si on doit se disputer, le mieux serait que j'utilise les mots et qu'il réponde avec sa guitare, car avec cet instrument, il est très éloquent, notamment émotionnellement. "

Polly Samson en parlant de son époux David Gilour.

Par ailleurs, il s'adresse dans le même album directement à son ex-épouse Ginger Hasenbein dans Coming back to life , (où étais-tu quand j'étais brûlé et détruit...") chanson dédiée à Polly où il "tue le passé et revient à la vie", peut-être une chanson d'amour finalement ?

David Gilmour et son épouse, Polly Samson

Le rapport de Pink Floyd aux femmes, quelle que soit la période, ne se lit donc pas en surface, mais en creux, dans les absences, les projections et les symboles. Si cette approche peut paraître distante, elle révèle aussi la cohérence d’un univers où la voix féminine — quand elle surgit — est brute, bouleversante, presque sacrée. Pink Floyd ne donne pas directement la parole aux femmes, mais fait résonner leur écho dans les murs qu’érige l’homme contre lui-même. Finalement, un silence plus fort que les mots ("louder than words").

Louder Than Words, vidéo officielle (paroles de Polly Samson)

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